Les forêts de la désillusion

Les forêts de la désillusion

 Les communautés villageoises ont crû un temps pouvoir vivre de leurs forêts tout en les préservant. Mais sans moyens, elles commencent sérieusement à en douter… Ainsi à Dikous, au sud du Cameroun.

A mesure que la piste en latérite s’enfonce dans la brousse, la végétation se fait de plus en plus dense. Quarante kilomètres après avoir quitté la route bitumée Douala-Yaoundé vers l’est, le guide Athanase montre du doigt des arbres immenses qui cachent le ciel : ” Voici la forêt de Dikous “. Les rayons de soleil pénètrent difficilement dans cette forêt tropicale du sud du Cameroun. Grondements d’animaux et cris d’oiseaux effraient les visiteurs. De grands sautent d’arbre en arbre. De multiples espèces d’oiseaux bariolés essaient tant bien que mal de leur ravir la vedette.

Au cœur de cette nature sauvage et exubérante, deux jeunes gens scient les billes de deux grands arbres récemment abattus. A l’aide d’une tronçonneuse, ils les découpent dans le sens de la longueur. Planches, lattes et chevrons s’entassent. D’autres jeunes les transportent sur leurs têtes, pièce par pièce, jusqu’au bord de la piste, à cinq kilomètres de là. ” Nous mettons au moins 45 minutes pour transporter une planche jusqu’à la route “, explique l’un d’eux, épuisé.

Le matériel d’exploitation, rangé au pied d’un gros arbre, comprend en tout et pour tout une tronçonneuse et des machettes. Une vingtaine de paysans travaille ici pour le compte du Groupe d’initiative d’agriculteurs et des notables de Dikous (Giand), une association qui représente juridiquement les populations de ce village au cœur de la forêt.

Exploiter et reboiser

En février 2001, le Giand a signé, avec le ministère de l’Environnement et des forêts, une convention qui attribue à la communauté de Dikous l’exploitation de 1000 hectares de forêt sur cinq ans. Le contrat est renouvelable cinq fois, à condition que les villageois respectent à la lettre les clauses de l’exploitation durable de la forêt, définies dans la convention. La première concerne le reboisement obligatoire des surfaces exploitées à la fin de chaque quinquennat. De jeunes plants fournis par l’Office national des forêts devront être replantés par les villageois. ” Au bout de 25 ans d’exploitation, 4000 ha au moins sur les 5000 que le ministère nous a octroyés seront reboisés “, confirme Maleb Janvier, président du comité de gestion du Giand.

Depuis 1998, plusieurs conventions de ce type ont été signées avec les communautés villageoises des régions forestières du centre et de l’est du pays, suivant la loi forestière de 1995. Cependant, à Dikous, depuis qu’une nouvelle loi, votée en décembre 2001, interdit l’exploitation industrielle des forêts communautaires, l’enthousiasme est nettement retombé. Désormais, sont interdites l’entrée des engins forestiers, la vente de coupes ainsi que l’exploitation du bois en grume, des produits non ligneux ou médicinaux. Les paysans doivent eux-mêmes couper, transformer et transporter le bois. Tout accord avec un exploitant forestier leur est interdit. Sans moyens pour s’équiper, les villageois munis seulement de deux tronçonneuses sont contraints de séjourner près de trois semaines dans la forêt pour abattre quelques arbres.

A ce jour, ils ont à peine exploité 10 % de la superficie prévue annuellement. ” Imaginez combien de jours nous mettons pour sortir les 600 planches nécessaires pour le chargement d’un camion ! “, s’exclame Maleb Janvier. ” Dans ces conditions, le gouvernement pourra se réjouir d’avoir pérennisé la forêt alors que les communautés villageoises continueront à croupir dans la pauvreté “, lance André Nogabith, responsable des travaux du Giand.

Un cadeau empoisonné “.

Ce n’est pas ce qu’avaient prévu les villageois de Dikous. En effet, lors des premiers contrats passés en 1998, les bénéficiaires étaient libres de vendre des droits de coupe de bois, de signer des accords avec les exploitants forestiers et de vendre les produits issus de la forêt. Les gens de Dikous espéraient en cédant l’exploitation de leur forêt à des industriels récolter d’importantes redevances. ” Cela nous aurait permis d’électrifier facilement notre village et de créer une palmeraie de 25 hectares comme prévu par la convention “, regrette Marcel Bonnery, secrétaire général du comité de gestion de la forêt de Dikous. ” Pour moi, aujourd’hui, la forêt communautaire est un cadeau empoisonné que nous a servi le gouvernement “, conclut-il, très amer.

D’autant que se faire attribuer la gestion d’une forêt n’est pas une sinécure. Les fonctionnaires chargés d’étudier le dossier exigent à chaque fois des dessous-de-table. ” Nous estimons à des millions de francs la somme dépensée pour obtenir notre forêt communautaire “, révèle Maleb Janvier, président du Giand. Pourquoi ce revirement des autorités ? Suite aux premiers contrats passés avec les communautés villageoises, le gouvernement a constaté une destruction rapide des forêts qu’elles étaient censées protéger ce qui l’a poussé à en interdire l’exploitation industrielle. Du coup, l’opération a perdu beaucoup de son attrait pour les villageois. ” Une inadéquation notoire existe entre la réglementation et la réalité sur le terrain, parce que ceux qui élaborent les lois n’en ont pas connaissance “, estime Maleb Janvier.

Aussi souhaite-t-il que les communautés et le ministère se penchent ensemble sur les textes qui régissent l’exploitation des forêts. Doléances jugées pertinentes, et actuellement ” réfléchies ” par l’administration, selon Samuel Hiobi, du bureau d’exploitation du bois à la délégation régionale des forêts de Douala. Dans un coin du village sont rangés quelques engins lourds utilisés pour des coupes industrielles. Pourquoi faire ? Les paysans, confus, évitent de répondre. Dans l’attente que le gouvernement assouplisse les conditions de la convention, le Giand se livrerait-il discrètement à une exploitation industrielle de la forêt ? Difficile de le savoir. Et l’Ong britannique Global Witness, chargée par l’Etat de veiller à la préservation des forêts camerounaises n’a pas toujours les mains libres pour traquer les contrevenants.

Charles Ngah Nforgang

Publié le 01-09-2002 sur www.syfia.info et www.jadecameroun.com

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